En attendant le 11 mai, la société se trouve en plein questionnement concernant « le monde d’après ». Un retour à la « normalité » ne semble plus possible, heureusement, mais avancer vers quoi ? Beaucoup de questions essentielles, voir existentielles, se posent et leurs réponses sont en train de se construire par les citoyen-ne-s, par les discours publics et par le récit collectif qui entoure cette pandémie.

En France, l’économie sociale et solidaire (ESS) et ses valeurs se mettent d’avantage au centre des débats. L’ESS se base sur les principes d’ancrage territorial, d’utilité sociale, de gouvernance alternative et de modèles économiques plus humains. Ainsi, la pensée capitaliste et de globalisation qui dominent actuellement notre système économique donnent place à d’autres notions comme le développement durable et la responsabilité écologique et sociale.

Ce sont des concepts viables qui ont déjà fait leur preuve pendant des années. L’ESS est une vraie solution à de nombreux problèmes sociaux, écologiques et économiques d’aujourd’hui.

Mais en même temps que les un-e-s militent pour un changement de paradigme, les industries se préparent à rattraper leur retard et demandent des subventions astronomiques – de préférence sans aucune contrepartie écologique ou sociale.
Dans les mois à venir, nous verrons si nous, qui souhaitons un véritable changement, serons capable de nous organiser sur une échelle qui aura un impact durable.

Au cœur de cette réflexion collective se trouve la notion de solidarité. Une notion qui a dominé le discours de la commission européenne et de beaucoup de chefs d’états durant ces derniers deux mois. De la solidarité européenne jusqu’à la solidarité entre voisins, on se fête et on se baigne dans cette notion de civisme et d’entraide. En même temps, les épisodes d’achats de réserve, d’interceptions de livraisons de matériaux médicaux destinés à d’autres pays, le blocage des processus d’accueil de réfugié-e-s, la hausse de la violence contre les femmes et les enfants confiné-e-s – l’hypocrisie, l’aveuglement et le potentiel de mensonge de notre société me mettent des frissons.

Est-ce que cette hausse de solidarité ponctuelle pendant la crise, pourrait-elle durer ?

Être solidaire, cela ne veut pas dire donner aujourd’hui un sandwich à un SDF en se prenant en selfie pour se fêter sur les réseaux sociaux et demain continuer sa vie de privilégié-e sans que rien n’ait changé. Être solidaire, ça veut dire partager les ressources durablement et cela sur une échelle locale et globale. Pour les pays riches, cela veut dire adapter leur mode de vie afin de permettre aux pays pauvres d’améliorer leur niveau de vie. Sommes-nous prêt-e-s à faire ça ?

Commençons ce processus de « solidarisation » de notre société au niveau local !

Une bonne stratégie déjà disponible me semble alors l’économie sociale et solidaire. Car si nous ancrons nos productions, nos emplois, au niveau local, nous serons déjà moins dans l’exploitation des ressources d’autres pays pour notre profit.

Se recentrer sur le local et ainsi sur le monde qui nous entoure directement, ça signifie se confronter au monde que nous pouvons expérimenter avec nos sens, sans filtre technologique ou médiatique.
Cela nous enlève la possibilité d’ignorer ce devoir moral de solidarité que nous avons en tant que citoyen-ne-s envers les plus faibles de la société. Car c’est surtout le caractère abstrait des problématiques d’ailleurs qui nous met en capacité émotionnelle d’ignorer la misère, la guerre, la faim, les maladie, l’exploitation. Des problématiques auxquelles nous donnons notre accord en restant passifs. L’ESS et l’écosystème des acteurs-trices que cela génère peut aussi donner un nouveau sens de communauté et de citoyenneté active. La gouvernance avec des hiérarchies basses, des processus de prise de décisions participatifs, la mutualisation des ressources – tout cela renforce l’esprit de solidarité, d’entraide et nous éloigne de la pensée concurrentielle, de la loi du plus fort et de la croissance économique à tout prix.

La solidarité en symbiose avec la lutte contre les discriminations !

Dans ma perspective de médiatrice interculturelle, des notions comme « retour au local » et « ancrage territorial » suscitent mon attention, car, dans l’histoire de l’humanité, une grande identification avec un territoire s’allie souvent à un patriotisme, une possessivité et un repli sur soi afin de protéger ce territoire et cette communauté. Ces notions évoquent une exclusivité qui englobe la terre, les ressources, les emplois, la culture – l’identité territoriale (ou régionale ou nationale) se définit et se construit souvent dans la différence avec « l’autre » et est ainsi susceptible de ne montrer de la solidarité qu’à ceux qui viennent d’ « ici ».

N’oublions pas que depuis les grands flux de réfugié-e-s en 2015, les tendances nationalistes et populistes augmentent en Europe. Les propos racistes deviennent de plus en plus acceptables en publics. Ils se cachent souvent derrière un racisme culturel, ça veut dire des discours qui proclament des différences culturelles insurmontables. On se trouve face à un retour d’un vocabulaire discriminatoire dans les discours médiatiques et politiques qui n’était plus acceptable depuis la deuxième guerre mondiale.

Dans ce contexte, je vois un grand risque que nous nous retrouvions plutôt face à des discours populistes et nationalistes que de solidarité durable une fois que l’urgence de la crise sera derrière nous.

Le confinement a mis le doigt sur les inégalités et les discriminations profondément ancrées dans nos sociétés : l’inégalité des enfants face à l’éducation, les inégalités homme-femme face aux tâches concernant les enfants et la maisons, le racisme, les inégalités sociales concernant l’emploi, le télétravail, le logement, la stabilité économique… Nous ne pouvons pas, d’après moi, retourner à « la normalité » et ignorer cela.

Un retour au local, oui, mais en gardant l’esprit ouvert vers le monde !

La solidarité peut être vu comme une phase de transition vers l’égalité sur tous les niveaux ! Cela au niveau local autant qu’au niveau international, au niveau économique autant qu’au niveau social et écologique. La solidarité ne peut pas qu’être un engagement demandé aux citoyen-ne-s par l’état, mais un processus dans lequel l’état s’engage lui-même. Ne ratons pas l’opportunité d’accélérer cette transition solidaire et la lutte contre les discriminations !

Intéressant à lire

Philip Mirowski : «L’après ne sera pas favorable à une société de gauche, mais à une accélération des mesures néolibérales» – Libération

Jean-Louis Laville : Le monde d’après-demain, Solidarité – Les blogs d’Alternatives Economiques

Tribune de Jerome Saddier, Président d’ESS France : Appel à tout ceux qui font l’ESS : « Pour que les jours d’après soient les jours heureux ! » – ESS France

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De la solidarité en temps de crise à une solidarité durable : Consolider le retour au local avec un esprit ouvert vers le monde.